1954, le choc démographique

 

L'année 1954 débute dans des conditions très difficiles 

La France est tout juste en train de se relever des dommages de la guerre. Une forte poussée démographique, combinée à un transfert de population des campagnes vers les villes, aboutit à une véritable crise du logement dans les zones urbaines. Les logements bon marché sont bien sûr les plus rares et ce sont les familles aux revenus modestes qui sont touchées...

Les conditions climatiques sont extrêmement difficiles. Il gèle à pierre fendre depuis plusieurs semaines. La Seine charrie des glaçons et est prise entièrement par endroits. L’hiver tue. Un bébé et une vieille femme sont morts de froid dans la rue.

Cest alors que le 1er février 1954, la voix d’un prêtre s’élève soudain dans les postes de T.S.F (comme on disait alors) , sur les antennes de Radio-Luxembourg. Cet appel aura des conséquences inattendues pour le Plessis-Trévise, qui est alors une petite commune de 1 300 habitants environ.

 

1er Février 1954, la France est réveillée par l'Abbé Pierre

« Mes amis, au secours. Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, dans la rue, sans toit, sans pain ; plus d’un sont presque nus. Devant cette horreur, les « cités d’urgence », ce n’est plus assez urgent … Les premiers « centres de dépannage » regorgent déjà ; il faut en ouvrir partout …

Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière, dans la nuit, à la porte de lieux où il y a paille, couvertures, soupes :  « Centre fraternel de dépannage. Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, mange, reprends espoir. Ici, on t’aime. » Je vous en supplie, aimons-nous assez, tout de suite, pour faire cela, que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse, l’âme de la France. Merci. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris ».

L’Abbé Pierre venait de déclencher l’insurrection de bonté et de miséricorde. Le même jour, quatre stations de métro sont ouvertes aux sans-logis. Les jours qui suivent voient la création de « Centres fraternels de dépannage » un peu partout en France. Des postes de police sont transformés en centre d’accueil. 85 restaurants sociaux servent des repas gratuitement aux plus démunis.

La mobilisation générale de tous les Français aboutit en quatre jours à la collecte de 500 millions de francs et plus de 100 tonnes de matériel. L’assemblée Nationale, sous la pression populaire, se réunit en session extraordinaire le 4 février et accorde 10 milliards de francs pour la création de 12 000 logements d’urgence alors que peu de temps auparavant 1 milliard avait été refusé à l’Abbé Pierre.

Mais pour obtenir les prêts de l’Etat, il faut le statut H.L.M. : le 19 février 1954, la société H.L.M. Emmaüs est ainsi créée.

Les 'épis' et les 'toits'  premières constructions de la Cité de la Joie 

Cependant, l’Abbé Pierre ne perd pas de temps. Dès le 5 février, quatre jours après l’appel à la radio, il convoque des entrepreneurs, les supplie de commencer immédiatement la construction de petites maisons d’urgence sur le terrain de la « Villa Sans-Gêne » situé avenue Lefèvre, sur la commune du Plessis-Trévise. Sur ce terrain acheté à crédit en décembre 1953, dès le 8 février les compagnons de la communauté Emmaüs de Pontault-Combault s’activent et abattent les taillis à la cognée. Le défrichage effectué, le bulldozer suit, arrachant les souches, aplanissant le terrain où bientôt les terrassiers ouvrent les tranchées pour céder la place aux maçons.

Surpris et inquiets, les entrepreneurs convoqués interrogent :

« Comment seront nous payés ? Il faudra au moins deux à trois mois au Crédit Foncier pour étudier les dossiers et nous verser une avance. Or, nous ne pourrons pas travailler pendant tout ce temps sans recevoir d’acompte ! ».

« Rassurez-vous, dit l’Abbé. Les chiffonniers feront l’avance au Crédit Foncier qui remboursera quand il pourra! ».

Le chantier démarra et 70 jours plus tard, 48 petites maisons étaient terminées, 48 familles étaient logées. Ces modestes logis nommés « Les Epis » (en raison de leur disposition) seront inaugurés le 30 avril 1954.

Parmi les premiers à intégrer ces constructions seront Huguette et François Petit et leurs deux filles, parents du petit Marc mort de froid quelques mois plus tôt et dont le décès a été un des faits déclencheur de l’appel de l’Abbé Pierre

Visite d'un chantier de construction d'une cité d'urgence pour les sans abris au Plessis Trévise 

Reportage source INA - 13 mars 1954 

Puis, un centre d’hébergement de 250 logements nommés « Les Toits » est aussi rapidement construit. L’ensemble prendra le nom de « Cité de la Joie » selon le vœu de l’Abbé Pierre qui dira l’avoir appelé ainsi « avec optimisme car c’était vraiment une immense joie pour les familles qui arrivaient en rapport avec ce qu’elles venaient de vivre auparavant ».

La Cité sera inaugurée le 15 novembre 1954 en présence du ministre de l’Industrie et du Commerce Robert Buron, de Gaston Palewski, député de Seine et Oise, d’Antoine Boutonnat, sénateur, président du conseil général, maire de Chennevières S/Marne, de Roger Génévrier, préfet de Seine et Oise et de Pierre Boyer, maire du Plessis-Trévise. Le ministre du Logement et de la Reconstruction, Maurice Lemaire, s’est fait représenté. Encore souffrant, l’Abbé Pierre a été contraint de parler au micro, de l’intérieur de sa voiture, qui devait le ramener dans la clinique où il suivait un traitement.

Au départ, les constructions ne sont que de pauvres baraques, construites à la hâte, pour parer au plus pressé. Au fil du temps, des constructions en dur vont petit à petit se substituer aux abris de fortune et permettre aux familles de s’installer d’une manière moins précaire.

 

Ci-après documentaire sur la réalisation des premières constructions de la cité de la Joie ("les épis)

Février à Avril 1954

La commune doit faire face à de nouveaux besoins

En 1954, la commune du Plessis-Trévise est à peine peuplée de 1 300 habitants. Elle voit soudain sa population plus que doubler en moins d’un an et les effectifs scolaires grossir brutalement de façon considérable. Il faut alors faire face à un véritable choc démographique et tout prévoir sinon tout repenser ainsi que le dit le maire Pierre Boyer, dans son allocution, le jour de l’inauguration de la Cité de la Joie :

« ….Le travail a été conduit rondement et nous avons la preuve aujourd’hui qu’il fallait seulement un peu de courage pour qu’une telle réalisation soit menée à bien […] mais nous constatons que dans un temps très court, nous ne pourrons plus assurer l’indispensable de la vie collective. Quand je dis l’indispensable, je pense à l’instruction des enfants : il faut des classes, nous ne pouvons pas laisser les enfants dans la rue. Les transports doivent s’intensifier, mais nous avons des routes défoncées par le passage incessant des camions de chantier qui on entreprit la construction. La direction de la R.A.T.P. ne pourra, en conséquence, assurer bien longtemps un service sur des voies se trouvant dans un tel état.

Le contrôle sanitaire pose déjà des problèmes aigus pour 50 logements. Que sera-t-il bientôt ? Nous ne pourrons pas faire admettre les enfants malades dans les hôpitaux de rattachement […]. Les distributions d’eau, de gaz et d’électricité sont insuffisantes. Il n’existe pas de réseau d’égouts et il faut pourtant y penser si nous voulons éviter le pire dans un pays où de nombreux administrés consomment encore l’eau de leur puits. L’enlèvement des ordures ménagères pour la Cité va poser un problème angoissant dans les jours à venir. Volontairement, j’en passe, car ceci deviendrai un rapport par trop désagréable. Et pourtant … »

En dépit de tous les problèmes qui s’accumulent, la commune fait face et les choses rentrent petit à petit dans l’ordre. Malgré son maigre budget, le conseil municipal vote à l’unanimité la garantie communale au profit de la société d’H.L.M. Emmaüs pour les 48 premiers logements et demande au département de prendre en charge la garantie des 250 autres logements.

En avril 1955, le maire du Plessis-Trévise, Pierre Boyer ira, en compagnie et avec le soutien de l’Abbé Pierre et d’Antoine Boutonnat, conseiller général, frapper à l’Elysée. Les services du Président de la République René Coty comprirent vite le sérieux de la situation. Dans les semaines qui suivirent, les demandes du Plessis-Trévise allaient être examinées en priorité dans tous les ministères.

A la rentrée scolaire 1954, il a fallu accueillir un effectif d’élèves supplémentaire très important. Pour cela, une classe désaffectée fut réaménagée à la hâte à l’Ecole du Centre (seul établissement scolaire de la commune, à cette époque). Deux autres classes furent aménagées dans la salle des fêtes. La mairie elle-même hébergera une classe également. Cette situation ne pouvait évidemment qu’être provisoire. Dans un premier temps, l’Education Nationale fit bâtir à titre exceptionnel et hors programme trois classes    "d’urgence » à l’Ecole du Centre.

Puis, en 1956, les écoles dites « du Monument » (aujourd’hui Jean Monnet, Jean Moulin et Saint-Exupéry) sont construites, permettant ainsi aux enfants de la Cité tout particulièrement, une rentrée scolaire dans de bonnes conditions malgré des effectifs déjà chargés.

La place Gambetta (aujourd’hui place de Verdun) toute proche et les alentours s’aménagent. Quelques commerces s’installent. Le démarrage est chaotique, d’autant plus que la Cité de la Joie est censée constituer un accueil d’urgence relativement provisoire. Même rudimentaires, ces logements sont pourtant, cet hiver-là, préférable à la rue ou à la bouche de métro.

Un provisoire qui dure ...

La Cité, théoriquement construite pour cinq ans, est toujours debout en 1967. Les réparations qui auraient dû être faites ne l’ont pas été : elle a alors 13 ans. La situation y est toujours difficile, surtout dans « les épis » qui sont des sortes de baraquements recouverts de tôle dont la construction légère n’était pas destinée à subir les épreuves du temps. C’est dans ces « maisonnettes » dont les pièces ont tout juste trois mètres de long et à peine deux de large, que s’entassent des familles de cinq à six personnes, voire davantage. Des actions ont pourtant été réalisées : un dispensaire reconnu par la société Emmaüs a été construit, on y assure la protection maternelle et infantile ; une assistante familiale y tient permanence. On y donne également des cours de couture, de cuisine et d’hygiène. Deux aides familiales travaillent également à la Cité dans le cadre d’une association. Un groupe amical de variétés et de music-hall organise bals, spectacles de musique et fêtes. Le journal de la Cité « L’entente » permet par l’information, une plus grande solidarité. Chaque année, des bénévoles décorent un char pour la fête de la Saint-Jean du Plessis-Trévise, s’intégrant ainsi davantage dans la vie de la commune...

 

Selon une enquête de 1972, une grande majorité des habitants de la Cité de la Joie ne disposait que de très faibles ressources : 25 familles ont moins de 7 francs par jour et par personne pour vivre, 50 familles ont entre 7 et 15 francs, 90 chefs de famille gagnent moins de 1 500 francs par mois. On paie 60 francs par mois de loyer, charges comprises pour un logement de 2 pièces, 100 francs pour un logement de 4 pièces. Malgré ces prix très bas, beaucoup de familles ont des retards de paiement de loyers.

Après des années de débats entre la société H.L.M. Emmaüs, le Comité des locataires et la municipalité du Plessis-Trévise, « les épis », frappés par l’arrêté d’insalubrité de 1972, sont rasés et font place en 1973 à des immeubles collectifs.

Après des années de débats entre la société H.L.M. Emmaüs, le Comité des locataires et la municipalité du Plessis-Trévise, « les épis », frappés par l’arrêté d’insalubrité de 1972, sont rasés. 200 logements collectifs répartis en 20 immeubles et 50 maisons individuelles seront construits en 1973.

 

Vue d'ensemble de la cité en 1999

 En 2002, une nouvelle réhabilitation de la Cité de la Joie s'avère nécessaire.  Certains des batiments construits en 1973 sont rénovés, d'autres sont détruits. De nouveaux immeubles et de nouveaux pavillons sont construits. Un espace familial est créé (Espace Germaine Poinso-Chapuis). La majorité de cette opération s'achève en 2004, quelques constructions en retard seront édifiées quelques années plus tard ...

 

 

50 ans après sa création, l’Abbé Pierre reviendra inaugurer, les yeux luisants d’émotion, le renouveau de cette Cité qui lui tenait tant à cœur. Un parc aménagé au milieu de la cité porte dorénavant son nom ainsi qu'une avenue (avenue du 1er février 1954).

 

La Cité de la Joie, version 2015

 

Les premières heures tumultueuses de la Cité de la Joie ne sont plus désormais qu’un souvenir et la commune du Plessis-Trévise peut se glorifier d’avoir contribué à la seule guerre qui vaille la peine d’être déclenchée : la guerre contre la misère et la pauvreté.

Le 20 février 1999, l’Abbé Pierre nous précise modestement : « ... Cette action apparaît quand on la regarde comme formant un tout. Croyez-le, car c’est la vérité, ce ne fut jamais la réalisation d’un plan bien calculé. C’était, étant présent, proche de souffrances, la volonté de ne pas se dérober ... Je vais faire en même temps la critique de ce que je faisais : j’ai pris conscience après coup et maintenant je travaille autant que j’ai de force pour réparer, mais, j’ai pris conscience qu’il fallait espacer, ne pas entasser au même endroit, prévoir des espaces verts, des terrains de sport, etc. … Dans la réalité où je me trouvais, neuf sur dix des familles mal logées, désespérées, étaient des jeunes ménages. Je ne pensais qu’à les loger avec leurs enfants. Je n’ai pas eu la vue que doit avoir un urbaniste...»

Reportage audio source INA - 12 mars 1954

Reportage Audio de Clara Candiani au Plessis-Trévise, sur le site de la première Cité d'urgence mise en chantier. - Interview du conducteur des travaux (Monsieur Simonet ), et du chef plombier, qui donnent les caractéristiques de ces logements construits rapidement avec un coût réduit, mais destinés à durer. - Puis, interview de l'abbé Pierre qui explique le projet et la conception des différents logements qui sont en cours d'aménagement. Il parle de l'atelier de fabrication de parpaing aménagé sur le site. Il dit avoir fait acheter un poste de télévision pour cette communauté de 160 personnes. - Enfin, l'abbé Pierre explique que cette opération a pour but de loger des ouvriers, des travailleurs, des familles qui ne touchent pas un salaire suffisant pour avoir un logement décent. "

 

Quelques témoignages

Une nouvelle locataire écrit à l’Abbé Pierre :

 

« Mon père, cet après-midi, je suis allée avec bien d’autres, voir au Plessis ce qui se passait. Madame Renard, la responsable, m’a dit que je pouvais aménager immédiatement ; je ne pouvais d’abord y croire et puis la fièvre m’a pris, je suis allée chercher les enfants, quelques bricoles et nous nous sommes très sommairement installés. J’ai peine à imaginer que c’est vraiment vrai, et pourtant les enfants dorment là-bas cette nuit et j’ai mes clés à portée de la main. C’est merveilleux, un conte de fée au sortir d’un cauchemar sans fin, une histoire avec ses bons et ses mauvais génies et ses miracles. Demain, j’enverrai des fleurs pour la chapelle d’Emmaüs car j’aime cette chapelle et j’y ai beaucoup prié malgré mon âme de mécréante. Mon père, vous êtes un des artisans du miracle et je vous remercie. Les enfants sont fous de joie car ils apprécient la chose à sa juste valeur. Ils se joignent à moi et espèrent avec moi vous voir un jour dans notre maison, quand elle sera belle. »

(Faims et Soifs des hommes N° 1- 1954) 

 

Gilberte et Ahmed se souviennent  :

 

« Nous sommes arrivés avec nos maigres valises au début de l’année 1956, nous avions le numéro 20 aux Épis. C’était un petit pavillon avec des murs en parpaings et une cour devant. Il y avait deux chambres, une cuisine et des W.C. Au début, il n’y avait pas d’eau chaude mais on avait de quoi se chauffer. Les habitants ne roulaient pas sur l’or, mais payaient un loyer symbolique de 10 francs, histoire de dire que ce n’était pas donné ».

(Journal "Le Parisien" 30 janvier 2004)

 

Bernadette de Viron, infirmière nous raconte  :

 

« J’ai vécu à la Cité de la Joie pendant dix-huit ans. Je suis arrivée dans les années 1960, j’étais infirmière et, avec un médecin, j’assurais une consultation de protection maternelle et infantile, de pédiatrie et des soins à domicile.

J’habitais un des 250 logements de la Cité, ce qui me permettait de vivre en parfaite proximité avec les habitants. L’ouverture sur le monde extérieur resta difficile, à cause d’une mauvaise image dans le public. Avec une pareille adresse, il n’était pas facile de trouver du travail ou d’obtenir un crédit. … Mais, malgré tout, la vie de quartier s’est rapidement développée, sans entrave.

Pas question alors de manquer du nécessaire. On se dépanne, on s’aide, on partage. Tout le monde se connaît. La petite cour devant la maison constitue le prolongement de l’habitat et chacun l’investit à sa guise : jardin, espace de jeux clos pour les enfants, lieu pour sécher le linge, garage, débarras. Cette petite cour revêt non seulement un rôle utilitaire mais aussi une fonction sociale : c’est le lieu de relations avec le voisinage, avec les passants. C’est l’endroit d’où l’on interpelle la voisine pour lui demander du beurre ou du sel.

En dépit de conditions souvent difficiles, j’ai le souvenir d’une harmonie et d’une amicale cohabitation avec les familles, de liens affectifs très forts entre les personnes. Solidaires devant les problèmes d’alcoolisme, un mouvement appelé « Vie Libre » s’est créé et a aidé plusieurs malades à s’en sortir. C’était une prise en charge par les gens de la Cité pour régler leurs propres problèmes.

C’est dans cette vie quotidienne que j’ai découvert la valeur et la richesse des concepts abstraits de solidarité, de respects des autres, de soucis des plus faibles. Il y a vingt ans que j’ai quitté la Cité. Son souvenir est toujours présent et fort dans mon cœur. Je témoigne de mon affection et de ma reconnaissance pour tout ce que j’y ai appris. »

(Propos recueillis par Eliane Canda 1990)      

 

 

Extrait d’un entretien d’Éliane et André Canda avec l’Abbé Pierre  (20.02.1998) :

 

« Et pour l’argent comment faisiez-vous ? »

Il nous répond :

« C’était mon argent de parlementaire qui nous permettait de manger tous les jours. Nous n’avions rien d’autre que çà. On n’avait pas encore commencé les chiffonniers. Et puis, ça été l’hiver1954. Nous avons reçu plus de 900 000 lettres et à peu près un milliard d’anciens francs en argent, en billets de banque, en chèques et en mandats. Ensuite, le gouvernement a débloqué la somme que je lui demandais pour la construction de logements d’urgence.

 Et puis, il y a eu Igor. C’était un peintre russe qui était devenu neurasthénique. Un jour, il est venu me dire : « il faut m’occuper sinon je vais me suicider ». On l’a occupé pendant un an puis il a disparu. Un jour, il me téléphone. Il avait travaillé aux États-Unis où il était devenu expert en tableaux et avait gagné un peu d’argent. C’était le moment où il fallait acheter Neuilly-Plaisance. Je lui ai dit : Et bien, si tu as un peu de fric, c’est le moment d’arriver. » Le lendemain, on signait chez le notaire comme il manquait de l’argent, il a fait le chèque de ce qui manquait.

Une autre fois, un type escalade les quatre marches de la maison. Au premier type qu’il rencontre, il demande : « Où est l’Abbé Pierre ? ». On lui répond : « Au premier étage ! »

Il monte. Il tape à la porte. Il entre. Il pose un paquet dans un journal sur la table et s’en va. Quand il a été parti, j’ai ouvert le paquet. Il y avait une somme énorme en billets de banque. Il est venu une seconde fois, au moment où il nous manquait encore de l’argent. Mademoiselle Coutaz (adjointe de l’Abbé et co-fondatrice du mouvement Emmaüs) a toujours été persuadée qu’il s’agissait d’un brigand ou d’un malfaiteur qui, de temps en temps, avait des remords et voulait donner pour les pauvres une partie de ce qu’il avait volé. Moi, je préfère penser que c’était le Bon Dieu qui avait motorisé ses anges ! »... 

 

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