La plupart des plesséens connaissent la Villa Sans-Gêne située au 17, avenue Lefevre et dont le nom est associé, depuis 1954, à la
Communauté Emmaüs.
L’origine exacte des deux principaux bâtiments reste encore aujourd’hui un mystère pour nous malgré nos recherches approfondies. Nous avons retrouvé une première mention de cette propriété dans les
matrices cadastrales, en date de 1869, qui indique un bâti sur la parcelle A157 sans donner plus de détail. Quelques années plus tard, des agrandissements des bâtiments sont notés.
Toutefois, des annonces immobilières parues quelques années auparavant, entre 1864 et 1867, nous laissent à penser, au vu de sa localisation et de l'important degré d'équipements de la propriété, qu'il s'agit de la Villa Sans-Gêne.
Avant de partir découvrir son histoire, il nous parait important de rappeler que la propriété est constituée principalement de deux batiments qui probablement n'ont pas été édifiés en même temps :
- l'un en pierre meulière perpendiculaire à l'avenue Lefevre
- l'autre étant la villa à proprement dit construite en son centre.
Rappelons aussi que jusqu'à la création de la commune du Plessis-Trévise, en 1899, cette propriété était située sur la commune de La Queue-en-Brie.
Le nom même de "Villa Sans-Gêne" est un autre mystère mais nous avons notre petite idée...(voir en fin de rubrique)
De 1864 à 1867, de mystérieuses annonces immobilières sont publiées
Nous reproduisons ici deux exemples d'annonce parue entre 1864 et 1867 à de nombreuses reprises :
- la première (à gauche) dans "La Presse" le 21 septembre 1864;
- la seconde (à droite) dans "La liberté" du 28 août 1867.
Le contenu de ces annonces à son importance : "En face de la ferme Saint-Antoine", "Propriété de maître" plutôt très bien équipée, parc, orangerie, potager, arbres fruitiers, serres, réservoirs, basse-cour...
En effet, à cette époque, dans ce secteur très boisé, il y avait très peu d'habitations et encore moins de grandes propriétés.
Malheureusement aucune annonce ne porte d'indication sur le nom des propriétaires mais il est très probable qu'il s'agisse de la Villa Sans-Gêne !
Cette vente intervient moins de 10 ans après les premiers lotissements de Augustin Ardouin en 1857.
Emettons donc une nouvelle hypothèse : en considérant le temps qu'il faut pour édifier de telles villas, pourquoi le vendeur ne serait-il pas l'un des premiers acheteurs de Jean Augustin Ardouin sur ce secteur ?
Localisation de la propriété et organisation des batis
Le plan ci-contre est un plan établi en 1810.
L'analyse de celui-ci indique qu'il existait un chemin entre la ferme Saint-Antoine (figuré en hachuré rouge) et le carrefour des avenues Gonzalve et Aubry (tracé en vert sur le plan). Chemin encore présent dans les années 1930.
Le bâtiment en meulière de la Villa sans-gêne (figuré bleu sur le plan) semble parfaitement aligné le long de celui-ci. L'orientation de ce bâtiment, qui peut sembler anormale aujourd'hui par rapport à l'avenue Lefevre, pourrait avoir comme explication qu'il a été édifié le long de ce chemin et pourquoi pas avant l'ouverture de l'avenue Lefèvre !
L'avenue Lefevre matérialisée ci-contre par un trait rouge apparaitra après 1860. Son existence est prouvée dans l'acte de donation d'Eustache Gonzalve à la commune de La Queue-en-Brie, en date de 1861 !
La création de cette avenue pose question puisque elle ne reprend pas le tracé d'une allée forestière ou d'un chemin existant !
Quant à la Villa elle-même, son implantation au centre de la propriété parait logique avec une entrée avenue Lefevre.
Notez au passage qu'aucun autre chemin que celui mentionné ne se dirige vers les terres de Combault.
Plan de situation en 1933
Sur ce cliché aérien de 1933, la Villa Sans Gêne apparait encore relativement isolée, entourée de bois. Quelques constructions sont édifiées un peu plus loin dans l'avenue Lefevre. Plusieurs constructions sont aussi présentes dans l'avenue de l'Eden.
En regardant attentivement, il est possible de discerner dans les bois le chemin qui rejoint le carrefour des avenues Gonzalve et Aubry. Chemin qui passait alors entre le bâtiment en meulière et les serres (cf. vue agrandie).
Sur la gauche, la ferme du Plessis-Saint-Antoine est séparée de la Villa Sans-Gêne par des bois.
Plan de situation en 1953
Après la seconde guerre mondiale, la propriété a quelque peu perdu de sa magnificense :
- les serres sont détruites
- le potager parait abandonné.
L'intérieur des bâtiments a quant à lui été dégradé par les soldats allemands qui l'ont occupé.
Les environs sont encore très boisés.
C'est dans cet état que fin 1953, l'abbé Pierre remarque la propriété et en fait l'acquisition.
Les propriétaires de la Villa Sans-Gêne
Entre 1869 et 1953, pas moins de 6 propiétaires ont occupé la Villa sans Gêne.
| Période | Propriétaires |
| ?? | non identifié |
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1869 - 1881 1881 - 1884 |
Jean Baptiste PEGARD Mme Veuve PEGARD suite au décès de son époux |
| 1884 - 1894 | Société TIXADO & MARS |
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1894 - 1932 1932 - 1936 |
Auguste MARS - Séparation société Marcelle MARS, sa fille , suite au décès de son père |
| 1936 - 1944 | Marcel PINIER |
| 1944 - 1947 | Camille Marie MICHEL |
| 1947 - 1953 | Clara THEIPENIER |
| 1953 à ce jour | Abbé Pierre - EMMAUS |
1869 - 1884 : famille PEGARD
Le relevé de matrice cadastrale fait état :
- d'une propriété au nom de PEGARD Jean-Baptiste Firmin, demeurant 14, rue des Poissonniers à La Chapelle Saint-Denis (rue aujourdh'ui rattaché à Paris 18e) pour des bois et pâtures au Parc du Plessis,
- d'une augmentation importante de construction portant sur une maison en 1869 et sise au Parc de Trévise (indication de 28 portes et fenêtres).
Jean Baptiste PEGARD est né en 1806 à Rambures (Somme). Il épouse Anne Françoise WANDERSCHERED, née en 1816 à Ettelbruch (Prusse). De leur union, ils auront un fils né en 1838 à Couddes (Indre).
Lors du recensement de population établi en 1876, J.B. PEGARD est présent à la Villa Sans-Gêne ainsi que sa femme. Ils emploient alors une jeune domestique de 12 ans d'origine prussienne.
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J.B. PEGARD décède en 1878 à La Queue-en-Brie à l'âge de 72 ans (donc probablement dans sa villa qui était alors située sur cette commune).
Sa veuve conservera la villa pendant 6 ans jusqu'en 1884.
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1884 - 1894 : Société TIXADOR & MARS
Mme Veuve PEGARD vend sa propriété à la Société TIXADOR & MARS en 1884.
Cette société figure dans le Journal Officiel du 24 février 1879 déposé au greffe du Tribunal de Commerce du département de la Seine. Il s'agit d'une société de teinturerie située au 94, de la rue Saint-Charles à Paris.
Dans les faits, et selon un acte de Maître Latapie de Gerval, la société TIXADOR et MARS a été créée le 29 janvier 1875 entre 4 personnes :
- Laurent TIXADOR, teinturier et sa femme Catherine Augustine Aglaé MORTET
- Auguste MARS; teinturier et sa femme Marie Anne Alphonsine MORTET
Les deux femmes sont soeurs et tous les 4 demeurent rue Saint Charles à Paris.
Il semble que Auguste MARS, de profession mécanicien, se soit converti à la teinturerie suite à la rencontre de sa femme.
Objet de la création de la société :
"Exploitation d'un fond de commerce de teinturerie et de dégraissage et de toutes les opérations se rattachant à cette activité"
Durée : 9 ans
Capital : 18 825 francs.
1884 - 1936 : Famille MARS
A l'expiration du délai des 9 ans, Auguste MARS devient le seul propriétaire de la Villa, avenue Lefevre.
Auguste MARS est né en 1848 à Paris et sa femme Marie Anne Alphonsine MORTET en 1847 à Paris également. Ils se marient en 1871 à Paris 15e. Marie décède sans avoir eu d'enfant, probablement avant 1900.
Auguste se remarie en 1905 avec Aimée Alexandrine POYER, née en 1863 à Paris. Il a 57 ans et elle 42 ans, Elle est veuve, rentière et réside Rue Beaurepaire à Paris 10e. Ce mariage ne dure que deux ans, le divorce étant prononcé en août 1907.
En 1905, année de son remariage, Auguste MARS reconnait sa fille Marcelle, née en 1900 de Amélie Louise TUACHE (teinturière âgée de 27 ans).
Le 2 avril 1932, Auguste décède à Paris 16e et est inhumé au cimetière de Montparnasse dans le caveau familial.
Quant à Marcelle, elle épouse Gilbert Joseph ALMERAS en 1935 à Paris 15e. Elle revend la propriété familiale (Villa Sans-Gêne) en 1936. Elle décède en 1955 à Villeneuve d'Ormont (Gironde).
Auguste MARS est un homme très actif. Outre ses activités de directeur de la teinturerie, il occupe les fonctions de :
- Adjoint au Maire du 15e arrondissement de 1897 à 1924 (?),
- Président d'honneur de la Chambre Syndicale de la Teinturerie et des Industries qui s'y rattachent,
- Administrateur du bureau de bienfaisance,
- Membre fondateur de la Caisse des Ecoles, membre du comité de cette caisse et de la commission scolaire
- Membre très actif au sein du syndicat des propriétaires de Plessis-Trévise (syndicat opérant avant la création de la commune)...
Il est fait Chevalier de la Légion d'Honneur en 1924.
Notons que Jules Nivette, maire du Plessis-Trévise fut Président de la Chambre Syndicale de Teinturerie.
Auguste MARS est très occupé sur Paris et échappe ainsi aux différents recensements de population sauf à celui de 1896, ce qui permet de constater l'emploi d'un jardinier, logeant sur place en compagnie de sa famille :
1936 - 1944 : Marcel PINIER
Marcel PINIER achète la Villa sans Gêne à Marcelle MARS en 1936.
Il détient une miroiterie rue Rochechouard à Paris 9e.
Malheureusement, nous n'avons retrouvé aucune information sur l'occupation de cette villa par Marcel PINIER.
Des témoins racontaient que l'armée allemande en avait pris possession pendant la Seconde Guerre.
1944 - 1947 : Camille Marie MICHEL
Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, la villa change de main.
Désormais, elle appartient à Camille MICHEL qui la conserve durant 3 ans.
Aucune information retrouvée sur cette période.
La propriété est alors très dégradée tant à l'extérieur qu'à l'intérieur suite au passage des précédents occupants.
1947 - 1953 : Clara THEIPENIER
En 1947, Clara THEIPENIER rachète la Villa Sans-Gêne.
Clara est née en 1887 à Clermont-Ferrand. Elle se marie une première fois avec Camille MADER en 1906 à Fresnes (94). Veuve, elle se remarie avec Georges Boyer en 1912 mais divorce en 1932.
Sur la matrice cadastrale, elle est notée comme résidant au bord du Lac d'Arcachon à La Hourcade, Gujan-Mestras (33).
Pas d'information complémentaire.
1953 à aujourd'hui : Abbé Pierre et Emmaüs
Henri Grouès dit l'Abbé Pierre achète la propriété en décembre 1953 avec ses fonds personnels.
Quelques mois plus tard, le 1er février 1954, il lance son vibrant appel.
Dès lors, la Villa Sans-Gêne va entrer dans l'histoire de Emmaüs et connaitre une autre vie :
- Suzanne Renard va créer la première communauté de femmes en ce lieu,
- La Cité de la joie va s'édifier très rapidement juste à coté
- L'abbé Pierre y reviendra régulièrement en visite.
De nos jours, Emmaüs occupe toujours ces lieux offrant un toit aux communautaires hommes et femmes.
Des espaces de vente sont ouverts au public.
Au fil du temps, la propriété a connu divers aménagements.
Tout récemment, d'importants travaux de rénovation ont été entrepris pour améliorer les conditions de vie des communautaires et créer de nouveaux espaces de vente plus fonctionnels. La villa, ayant subi en 2019 des dégradations importantes suite à l'incendie d'un des entrepôts, a également été rénovée.
Pourquoi le nom de Villa Sans-Gêne ?
Quant au nom de cette propriété, c’est là aussi toute une histoire qui, finalement, peut paraitre logique.
En 1857, lors de la succession de la Maréchale Mortier, les terres du domaine se confondent dans ce secteur avec celles de la Maréchale Lefèvre, situées sur la commune de Combault.
Le surnom de « Madame Sans-Gêne » n’a pas été donné à la Maréchale Lefèvre de son vivant. En effet, c’est seulement en 1893 que l’écrivain Victorien Sardou la surnomme ainsi dans sa pièce de théâtre éponyme, écrite lors d’un séjour au Château de Bois-Lacroix, tout proche.
C’est aussi à cette même époque qu’Auguste Mars achète la propriété en question et, sans doute, s’inspirant à la fois des lieux et du succès de cette pièce, nomme sa propriété « Villa Sans-Gêne ».
La Villa Sans-Gêne de nos jours