1904 - Garage DUPONT G, Champigny-sur-Marne (Carte postale colorisée)

 

      LIBERIA, la voiture construite au Plessis-Trévise

 

7 juillet 1899.

La constitution du Plessis-Trévise, en commune à part entière, est officielle. Le premier maire de la toute jeune commune est officiellement élu le 20 mai 1900. Il se nomme Gustave Dupont. Mais, qui est ce nouvel édile dont le nom n'est jamais apparu dans aucune revendication ni acte à ce jour ?

Il est né à Arras, le 13 aout 1863. Il passe sa jeunesse à Monéteau dans l'Yonne. Malheureusement, ses parents disparaissent alors qu'il n'a que 12 ans, le laissant orphelins avec ses deux soeurs cadettes. Plus tard, Il viendra suivre ses études à Paris. En 1884, alors étudiant en droit, il fonde une famille et s'installe peu après au Plessis-Trévise, en 1885.  [pour compléments, voir "Portrait de Gustave Dupont"].

 

Propriété de Gustave Dupont

Installé avenue de Chennevières, Gustave Dupont crée une petite entreprise de construction d’automobiles.

L'analyse du recensement de population pour l'année 1901 révèle qu’il emploie alors 16 mécaniciens, un tourneur sur métaux, un ajusteur et un chauffeur, tous domiciliés dans la commune du Plessis-Trévise.

A cette époque, la construction automobile est en plein essor et très prometteuse. De nombreuses sociétés vont apparaitre et ... disparaitre. De futures grandes marques commencent à se faire un nom : Panhard & Levassor, Renault, Peugeot, De Dion Bouton, Mercédès ... La France construit alors les meilleures voitures automobiles. Pour Gustave Dupont, il s’agit probablement de concevoir et d'assembler des pièces fabriquées à l’extérieur.

Plaque Constructeur Véhicule Libéria n°167

 

Le véhicule que construit Gustave Dupont est baptisé de la marque « Libéria ».

Coïncidence, il sort des ateliers du Plessis-Trévise au même moment que la commune a elle-même été « libérée » de ses municipalités de rattachement.

 

La « voiturette » (catégorie dans laquelle elle est classée) a été conçue pour être pratique et robuste. Elle doit, de plus, parvenir sans faille au sommet des cotes et surtout garantir à son propriétaire le trajet de retour. En guise de freinage, elle dispose d’une sorte de béquille que le chauffeur actionne à la main de façon à la ficher en terre. Un avertisseur sonore en forme de poire est ergonomiquement fixé directement sur le volant. Autres innovations, le siège avant droit pivotant sur son axe permet l’accès arrière, une astucieuse pompe à eau en bronze évite toute surchauffe. Le moteur du petit modèle est un Aster type 3K de 6,5 CV fabriqué à Saint-Denis. Le tout est monté sur un châssis sur lequel vient se fixer la carrosserie entièrement en bois fabriquée également à Saint-Denis.

Salon de l'auto - 1901

 

 

 

En 1901, la presse signale qu’un jeune ingénieur-constructeur du nom de Gustave Dupont obtient un vif succès au Salon de l’Automobile du Grand Palais de Paris.

Extraits de journaux de l'époque vantant les mérites de la Libéria 

 

"Dès que l'on a vu une voiture Libéria et que l'on a pu se rendre compte de ses multiples avantages et des perfectionnements uniques qu'elle comporte, il est impossible d'en choisir une autre. .."

Le petit journal du 4 avril 1901.

"Beaucoup plus robuste qu'une voiturette, la petite voiture Libéria possède les mêmes perfectionnements et les mêmes avantages que les grosses voitures, en dépensant moitié moins d'essence. Aussi conseillons-nous fort aux sportsmen désirant faire l'acquisition d'une voiture d'aller faire une visite à M. Victor Mathieu, représentant général, 22 rue Taitbout, Paris ..."

Le petit journal du 10 avril 1901.

"Tenant le juste milieu entre la petite voiturette et la grosse voiture, la voiture Libéria est la plus appropriée pour faire du tourisme; munie d'un moteur suffisamment fort, elle monte toutes les côtes et peut emmener quatre personnes. Elles se recommandent encore pour sa grande économie, dépensant le minimum d'essence. Son prix très abordable la met à la portée de toutes les bourses..."

Le petit journal du 10 avril 1901.

En 1901 et 1902, les Liberia participent à de grandes et célèbres courses automobiles et leurs résultats sont souvent très honorables face à la concurrence redoutable des voiturettes Renault. Classées dans la catégorie "voiturette", deux modèles sont en compétition : l'un d'une puissance de 6,5 HP et d'un poids de 400 kg, l'autre d'une puissance de 12 HP pour un poids de 640 kg.

Dans les années précédentes, de nombreuses courses de voitures ont eu lieu en France et en Europe (comme le Paris-Amsterdam) mais il n'a pas été trouvé traces de participations d'une Libéria à celles-ci.

Paris-Bordeaux - Mai 1901

Deux voitures Libéria sont engagées dans la course, une de chaque modèle.

 

En mai 1901, G. Lot acquiert un petit modèle de Libéria identique à celui livré au public. Il s'engage quelques jours après dans la course Paris-Bordeaux. Il termine à la 5ième place de sa catégorie en effectuant le parcours en 15h 51mn, à la vitesse moyenne de 33km/h. Toutes catégories confondues, G. Lot sur sa Libéria termine 26ème de la course sur 95 participants.

 

Dans la même catégorie, Louis Renault sur une Renault de 8HP termine premier en 9h31 à la vitesse moyenne de 55,8km/h. Quant à Fournier, le vainqueur de la course sur une voiture Mors de 60 HP, il couvre le parcours en 6h10mn à la vitesse moyenne de 85 km/h. 

 

 

Paris-Berlin - Juin 1901 

Un mois après le Paris-Bordeaux, débute la course Paris-Berlin longue de près de 1200 km et qui se court en 3 étapes : étape 1 de Paris à Aix La Chapelle (456km), étape 2 de Aix La Chapelle à Hanovre (445km), Etape 3 de Hanovre à Berlin (297km). 3 Libéria sont engagées. 

Le départ est donné le 27 juin à 3h30 de la Fourchette à Champigny.

Au terme de la première étape, le constat est le suivant : 2 Libéria ont abandonné en chemin et une est arrivée dans la ville étape en plus de 13h 20mn mais sera disqualifiée (il s'agit de la Liberia conduite par Faure, mécanicien de G. Dupont).

La voiturette la plus rapide est encore une Renault conduite par un certain Louis Renault qui termine en 7h22mn.

 

Dans la catégorie "Voiture Lourde", Fournier remporte l'étape sur une voiture Mors de 60HP en 5h56mn.  

 

Notons au passage que pour participer à cette course, les voitures doivent désormais être pourvues d'un pot d'échappement et que chaque concurrent doit verser au fisc la somme de 120 000 francs en garantie de leur rentrée en France.

 

Carte de la course Paris-Berlin - 1901
Liste des engagés dans le Paris-Vienne de 1902

Paris-Vienne - Juin 1902

Le 26 juin 1902 est donné le départ de la mythique course Paris-Vienne longue d'environ 1 431km organisée par L'Automobile Club de France.

Le départ a lieu à 3h30 du matin de La Fourchette à Champigny. Le départ de cette ville s'explique par le fait que le préfet de l'Oise avait émis un arrêté limitant la vitesse des voitures y compris pour la course et indiqué qu'il veillerait à ce que les conducteurs disposent bien d'un permis de conduire sous peine de sanctions.

La course se déroule en 4 étapes : Champigny-Belfort (407km), Belfort-Bregenz (312km), Bregenz-Salzbourg (369km), Salzbourg-Vienne (343km).

 

138 véhicules sont inscrits dont une Libéria, la n°206 conduite par un certain Dupont Gustave. Ce sera probablement le départ de sa seule et dernière grande course. Il s'aligne alors face à des marques très réputées comme Renault, Panhard, Darracq...

 

80 concurrents sur les 138 terminent la course. Dupont est de ceux-là. La Libéria a tenu.

Même s'il finit 78ième, il faut s'imaginer la somme de volonté qu'il a dû fournir pour arriver à Vienne après avoir passé 47h10 en 4 jours au volant de sa Libéria.

Il aura ainsi conduit 3 fois plus longtemps que Marcel Renault, le vainqueur de la course arrivé en seulement 15h47mn sur sa Renault 16 CV à la vitesse moyenne tous arrêts compris de 62,5 km/h.

 

 

Fort de ces succès, des particuliers aisés s'intéressent à ce petit modèle. On retrouvera ainsi des Libéria chez des médecins ou des journalistes. Mais, il semble aussi  que Gustave Dupont ait conçu des voitures de livraison.

Le succès dépasse les frontières : Des Libéria ont même été vues à Amsterdam en Hollande (photo ci-contre) en Grande-Bretagne et même en Australie.

 

 

Mais, les frais occasionnés par les courses, la qualité de la fabrication de ses automobiles, les rendant peu concurrentielles, vont être fatals à Gustave Dupont. En août 1902, la faillite de son entreprise est déclarée par le Tribunal de Corbeil. Il est contraint d’abandonner la fabrication de ses voitures "Libéria"

 

Quelques mois auparavant, le 27 mai 1902, un adjoint du Conseil municipal du Plessis-Trévise donnait lecture de la lettre du préfet, acceptant sa démission en qualité de maire de la commune du Plessis-Trévise.

La propriété, les bâtiments et les ateliers sont vendus, laissant la place à la manufacture d’échelles Emile Lerch.

 

 

Après ces déboires, Gustave Dupont ouvrira à Champigny-sur-Marne un garage « Libéria » ainsi qu’un magasin-atelier.

 

 

Quelques années plus tard, il part s'installer à Trouville-sur-Mer. Sur l'acte de mariage de sa fille ainée en date de 1911, auquel il assiste, il est indiqué qu'il est hôtelier à Trouville. Il tient alors l'hôtel "REGINA, 23 avenue Charles Monzin.
Une source orale affirme qu'il y aurait tenu un garage (cependant, aucun élémernt corroborant cette information n'a été retrouvé à ce jour).
Dans les années 1930, la famille Dupont est regroupée avenue Ckarles Monzin (Gustave, sa femme et ses deux filles). 1936 est une année de tristesse, Gustave voit disparaitre sa femme et sa fille en quelques mois. Lui-même décède, 
le 23 juin 1937 à l'âge de 74 ans. Sa fille cadette restée seule se marie en 1938 et décèdera en 1919. Il est très fortement probable qu'il n'existe pas de descendant direct de Gustave Dupont.

(pour complément, se reporter à la page Portrait de Gustave Dupont)

 

Plus d'un siècle après, une libéria roule toujours ...

Très fortuitement, il nous a été donné d’apprendre qu’un collectionneur avait acquis, en 2004, un exemplaire de cette voiture auprès d’un garagiste d’Auxerre où elle était restée soigneusement à l’abri.

C'est, à notre connaissance, le seul exemplaire au monde de la Libéria. 

 

Une origine limpide pour cette plus que centenaire

Louis Edouard Pollet alias Michel Corday

Louis Edouard Pollet fut le premier propriétaire de cette automobile Libéria fabriquée en 1900 selon les expertises et probablement acquise la même année. Né en 1869, il fait tout d'abord une carrière militaire après avoir été élève à l'Ecole Polytechnique. Il démissionne de l'armée en 1894 pour se consacrer à l'écriture. Il commence par une série plaisante sur la vie des officiers en caserne. Puis il publie une série de romans : Mariés jeunes, Confession d'un enfant du siège...

En 1903, il est alors autorisé à utiliser le patronyme de Michel Corday, C'est un ami personnel d'Anatole France, un passionné de sports. Il avait également pour ami Gabriel Voisin, constructeur des premiers avions et autos du même nom. Il écrivait régulièrement dans la revue L'Auto devenue par la suite L'Equipe.

Citons quelques autres livres : Les coeurs dévastés, Les Hauts Fourneaux, Les demi-Fous, Dernières pages inédites d'Anatole France....

 

L'histoire ne dit pas ce qui a amené Michel Corday à acquérir cette voiture Libéria, somme toute de fabrication assez confidentielle à cette époque ....

Connaissait-il son ingénieur-constructeur Gustave Dupont ou un de ses proches, ayant demeuré ou demeurant  dans l'Yonne, dans un périmètre de moins de 100 km de son propre lieu de résidence ? L'avait-il connu dans son activité de journaliste sportif ?... Nos recherches ne nous ont pas permis de déterminer le lien pouvant exister entre les deux hommes.

Famille Pollet/Corday dans la Libéria
Michel Corday au volant de sa libéria

 

Quand en 1906, Michel Corday décide de changer de voiture, il demande instamment à ses enfants de la garder en souvenir des bons moments qu'elle lui avait procurés.

Il l'avait surnommé Miss Tuckett mais nous ne saurions dire pour quelle raison !

 

Il décède en janvier 1937. Son voeu de préservation de cette automobile fut exaucé jusqu'en 1974, date du décès de son fils. La jeune veuve de ce dernier vendit alors l'auto à un garagiste local qui l'a remisa jusqu'en 2004.

 

C'est alors que son propriétaire actuel l'a découvrit et, en collectionneur curieux et avisé, l'acquit.

Celui-ci (à qui nous devons les informations qui vont suivre), va s'évertuer à préserver l'authenticité du véhicule en lui conservant toute sa patine originale et les marques du temps passé, ainsi que les experts britanniques l'ont suppliés de le faire. C'est, en effet, une voiture d'exception et des règlent s'imposent si l'on veut lui conserver son âme et sa valeur !

La sellerie, les sièges, les roues, la carrosserie sont en bois, oeuvre des Etablissements Barjou de Saint-Denis. Seul le capot du moteur est en métal et la légère oxydation superficielle a été laissée. Même les manques de peinture datant de 1900 n'ont pas été reprises.

Par contre, la restauration de certains éléments mécaniques s'est avérée nécessaire (moteur, transmission, boite de vitesse, système de freinage , embrayage...). Il faut savoir que cette voiturette était dotée d'éléments à la pointe du progrès, certains brevets ayant même été déposés par son constructeur Gustave Dupont (système de refroidissement à eau déposé en 1896, carburateur déposé en 1897, pompe à eau en bronze ...). Les pneus ont pu être changés, à l'identique, auprès des Ets Dunlop qui avaient encore, dans leur stock, quelques rares exemplaires.

 

 

112 ans après sa création, la Libéria a retrouvé la forme de ses débuts. Ce qui lui permis de se présenter au célèbre rallye des ancêtres à Londres, en 2012, le "London to Brighton", long d'un parcours d'environ 100 km.

Sa magnifique couleur jaune a illuminé le ciel londonien où elle a été très remarquée au sein de plus de cinq cents vénérables engins venus de tous les horizons de la planète.

 

Témoignage de la course par son propriétaire :

"Ce rallye est couru le premier week-end de novembre; les autos doivent avoir été construites avant le 31 décembre 1904. Nous avons dû envoyer de nombreux documents d'authentification car cette voiture était inconnue des organisateurs. Et notre candidature fut acceptée.

 

A 6 heures du matin, sous une pluie battante et froide et dans le noir, notre vaillante petite auto fut conduite de notre hôtel à Hyde Park pour le départ à 7 heures. Malgré le temps épouvantable, beaucoup de connaisseurs vinrent prendre des photos et informations, l'étonnement portant surtout sur l'état d'origine de notre véhicule. Les premières autos étaient les plus anciennes, 1895 et au-delà, mais comme la majorité des véhicules sont de 1903 ou 1904, la Liberia est partie rapidement avec Daniel Garnier au volant assisté de notre fils Pierre.

lI y avait 500 inscrits de tous les continents, Américains, Australiens, Scandinaves, etc… et une douzaine de Français. Plus de 50 voitures ne purent démarrer du fait de l'humidité, les allumages étant trempés. La Liberia marcha impeccablement et doubla de nombreuses autos pendant une cinquantaine de km, je suivais derrière. 

J'allais prendre le relais de Daniel Garnier à mi-chemin quand, malheureusement, la soupape d'admission rendit l’âme (rapidement changée depuis). On nous emmena donc sur un plateau jusqu'à Brighton où on assista à l'arrivée des survivants, à peu près 60%. C'est un superbe événement, très bien organisé, où conduisent souvent des célébrités, le prince Charles, la Reine voici une vingtaine d'années, des acteurs connus, des pilotes de formule 1 (Stirling Moss était là). C'est une grande fête de l'auto à laquelle nous avons été heureux de participer même sous un déluge constant (Daniel Garnier et Pierre étaient frigorifiés, tremblants et littéralement verts…)".

 

La photo (ci-dessous) montre l'auto à Londres sur le pont franchissant la Tamise avec Big Ben en arrière plan. 

la Libéria lors de la course "London to Brighton" en 2012
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