L’école de musique César Franck, située avenue Bertrand, a été inaugurée le 15 septembre 1984 après achat et rénovation par la ville du Plessis-Trévise d’une grande propriété bourgeoise tombée dans l’abandon pendant de longues années. Elle était alors connue sous l’appellation « la Maison Vincent » du nom de son dernier propriétaire.
L'achat récent par la Société Historique d’un album de famille contenant des photographies datées essentiellement de 1891, a remis en question l'origine de cette propriété. De nouvelles recherches ont été menées et nous avons désormais les preuves que celle-ci existait bien à cette date.
Cette découverte remet en cause les informations préalablement diffusées, attribuant au ténor Constantino, la construction de la villa au cours des années 1910-1911.
Ainsi va l'histoire ... qui s'écrit et se réécrit au fil du temps et des découvertes.
Il nous faut tout d’abord remonter le temps et rappeler le contexte :
Jusque dans les années 1860, l’emprise de la propriété fait partie du domaine de La Lande. Ce lieu présente la particularité de se trouver à l’extrémité sud du « grand canal » qui se terminait sous la forme d’un petit étang avec une ile en son centre, dénommée « l’Ile Malvina » (du prénom d'une des filles du maréchal Mortier, duc de Trévise)
Pour rappel, le Grand Canal traversait tout le domaine, rejoignant les douves du château de La Lande, son extrémité nord formant également une petite ile « l’Ile Caroline » (aujourd’hui disparue).
L’ensemble du secteur était boisé, une grande partie des avenues étaient déjà en place.
En 1857, après la mort de la duchesse de Trévise, veuve du maréchal Mortier, ses héritiers vendent le domaine à Jean-Augustin Ardouin, un investisseur avisé, qui s’empresse aussitôt de le revendre par lots.
C'est le début de l'urbanisation, de nombreuses "villas" vont êtes construites.
(pour en savoir plus sur ce sujet, cliquer ici).
La liste des actes de Maître Aubry, notaire à Paris, révèle que J.A. Ardouin a vendu en juillet 1857, à 5 personnes, un lot de 1ha 44 situés sur Villiers sur Marne et La Queue en Brie.
L'une des acheteuses est Mme Marie-Louise Girard, veuve de Louis François Mercier et demeurant à Paris.
Il est actuellement impossible d'assurer que cela correspond à notre sujet.
Le nom de Girard apparait ensuite à partir de 1863 sur les matrices cadastrales de la commune de La Queue-en-Brie dont dépend alors ce lieu.
Des constructions sont répertoriées mais leur description laisse à penser qu’il s’agit de petites maisons et de communs. Il faut dire qu’à l’époque la propriété était immense et s’étendait de l’avenue Bertrand jusqu’à l’avenue de la Maréchale.
Un peu plus tard, en 1873, la présence d’un pavillon comprenant 23 portes et fenêtres est clairement identifiée en tant que construction nouvelle. Il y a tout lieu de penser cette fois qu’il s’agit de la grande demeure bourgeoise que nous connaissons aujourd’hui.
L'extrait du plan Garcicot ci-contre montre les parcelles et constructions présentes en 1900 dans ce secteur.
Emile Antoine Girard est né en 1830 à Dijon en Côte d'Or. Négociant en vins, Il se mariera avec Reine Enault avec qui il aura 4 enfants :
- Léon nait en 1859, puis vit à Paris, rue Charcot où il est employé. Il décède en 1898 à l’âge de 49 ans.
- Amélie nait en 1862, à Paris, rue Saint-Louis. Elle se marie à La Queue-en-Brie en 1882 avec Alexis Gutrelle.
- Marie nait en 1865 à Paris, rue Saint-Louis également. Elle se marie très jeune (17 ans) à Vincennes avec Félix François Berguerand, exerçant la profession de
manufacturier.
- Henri nait en 1876 à ?. (nous ne disposons pas de plus d'informations).
Emile Antoine Girard, demeurant 29 rue Saint-Louis à Paris, fait partie de ces riches propriétaires qui investissent au hameau du Plessis-Trévise. Il détient alors plusieurs parcelles de terrains constituées de bois, terres plantées et de canaux.
Bien que les enfants soient nés à Paris, ce qui pourrait laisser à penser qu'il s'agissait plutôt d'une résidence secondaire, le recensement de la population de 1881 atteste de la présence de la famille Girard au hameau du Plessis-Trévise, commune de La-Queue-en-Brie. Par ailleurs, dès 1861, on trouve trace de l'implication d' Emile Girard dans la vie locale en tant qu'adhérent au Syndicat des propriétaires du Parc de Plessis-Trévise. Mme Veuve Enault, mère de Reine/belle-mère d’Emile est également présente dans les lieux.
Emile Girard décèdera en 1886, à l’âge de 50 ans. Sa femme, Reine disparaîtra 7 ans plus tard en 1893, sa mère étant quant à elle, décédée en 1883. Leurs dépouilles reposent dans le cimetière de La Queue-en-Brie.
La galerie ci-dessous présente des photographies extraites de l’album mentionné et légendées avec la date de 1891 ou 1892; certaines ont volontairement été laissées en leur état d'origine.
La villa est très reconnaissable même si des aménagements ont été réalisés postérieurement, tout particulièrement à l'arrière du bâtiment.
Sur ces photographies, nous retrouvons très probablement, les membres de la famille Girard présents à cette époque. De même, dans cet album, figure un portrait non identifié qu'il est possible d'attribuer à Emile Girard (?).
Les enfants, héritiers, conserveront la propriété encore quelques années (1900-1901 ?). Nous la trouvons, en effet, enregistrée en 1900 sous le nom de propriété "Girard Emile veuve Héritiers".
Aucun acte de propriété n'a été retrouvé à ce jour permettant de confimer ou d'infirmer la succession des Girard. Toutefois les matrices cadastrales indiquent comme propriétaires successifs de la dite parcelle :
- en 1901 : Edouard Bertrand
- en 1906 : Edmond Olivreau, publiciste, résidant 16, rue Hilton à Paris.
En 1908, la propriété passe aux mains de Mariano Florencio Constantino CARRAL, ténor à la renommée internationale sous le pseudonyme ou diminutif de Florencio CONSTANTINO.
Florencio CONSTANTINO est né le 9 avril 1868 à Ortuella en Espagne (région de Bilbao). Très tôt, il manifeste un goût prononcé pour les mélodies basques. Apprenti tourneur à 12 ans, ajusteur à 15 ans, il se distingue très vite de ses compagnons par ses chants et imitations. Il entre ensuite comme machiniste dans les Messageries Maritimes où il navigue entre Bordeaux et Glasgow. Pour fuir l'Espagne, il émigre avec sa future femme Luisa Arrigorriaga en Argentine en 1889 où il exerce divers emplois dans des ateliers de métallurgie à Buenos Aires. Finalement, il achète des terres et devient exploitant agricole. Il s'intègre rapidement à la vie politique et locale.
Il est vite repéré pour sa voix de ténor extraordinaire. Il reçoit des appuis pour apprendre le chant et la musique et fait des débuts fracassants à l'age de 30 ans. Son ascension est fulgurante. Il se produit dans les plus grands opéras du monde. Il en disputait la vedette au ténor Enrico Caruso notamment.
Constantino s’illustra particulièrement sur la scène de l’Opéra de Paris en 1909.
C’est aussi, peu de temps après qu’il s’installe, en compagnie de sa famille, dans cette demeure au Plessis-Trévise. Il semble qu’il ait connu et apprécié les lieux en rendant visite à son beau-frère Philip Fernandez déjà installé dans le village depuis quelques années.
Il parait également possible que le charme du Plessis-Trévise lui ait été révélé par Ramon Concha, propriétaire du Château de La Lande, à cette même époque. Précisons que Ramon (ou Raymond) Concha était un membre éminent de l'Association des amis de l'Opéra de Paris.
Ce sera son havre de paix entre ses très nombreuses tournées mondiales, toutes plus prestigieuses les unes que les autres.
Des anciens du Plessis-Trévise ont témoigné auprès de la Société Historique de l'occupation de la villa par la famille de Constantino, c'est-à-dire son épouse Luisa Arrigoriaga Larrazabal et ses quatre enfants. D'autres ont indiqué quelques apparitions dans les lieux de Constantino en personne. Il était considéré par les habitants du village d’alors comme un personnage fantasque sinon excentrique mais aussi généreux, aux tenues vestimentaires extravagantes.
Cette ascension fulgurante, si elle le grise au point qu’il en perde quelques repères, ne retire rien à sa générosité naturelle. C’est ainsi qu’il dépensa une bonne partie de sa fortune dans un projet de construction d’un somptueux Opéra en 1911 à Bragado en Argentine, en reconnaissance à la terre qui l'avait accueilli. Réalisation grandiose, ce théatre disposait de 1450 places, d'un restaurant, d'un salon de thé, de plusieurs salons de bal et de réception, d'une salle de billard, d'une patinoire en sous-sol. Mal géré, il périclita très rapidement et en 1916, l'édifice est condamné. Aujourd'hui rénové, il a été transformé en un complexe culturel qui porte le nom de Florencio Constantino.
Ruiné, suite au projet dispendieux de construction de cet Opéra, Constantino aura une fin tragique. Dépressif, il sombre dans l’alcoolisme. Devenu querelleur, incapable de s’exprimer sur scène, il est retrouvé, errant dans une rue de Mexico en novembre 1919. Il s’éteindra dans un hôpital pour indigents de cette ville, seulement âgé de 50 ans.
Sa famille continuera cependant à occuper la villa du Plessis-Trévise. On évoque également la présence de son neveu Ricardo Fernandez qui aurait habité la maison de gardien de la « villa » durant les années 1925-1930. Ce dernier, amateur de théâtre, membre de l’ « Amicale Artistique et Littéraire du Plessis-Trévise », sportif accompli, participa à des compétitions au sein du club cycliste local. Avec de nombreux jeunes gens du village, il appréciait particulièrement le canotage sur l’étang et sur le canal.
Il semble que, suite au décès de Florencio Constantino, la propriété ait été vendue à M. et Mme Thiriez. Un acte notarié du 17 décembre 1919, mentionne que M. Joseph Belin leur achète la villa. (?)
Ce dernier se rend donc propriétaire de la maison ainsi que du parc, comprenant un étang et un tronçon de canal, tel que l'on peut le voir actuellement.
Joseph Belin était alors propriétaire d’une usine de métiers à tisser, avenue Ardouin (à l'emplacement de la Manufacture de faux-cols et manchettes) où il occupait les fonctions de Directeur. Cette entreprise employait la majorité des jeunes gens de la commune.
Par ailleurs, investi dans la vie locale, il sera élu maire du Plessis-Trévise de 1919 à 1925.
La conjoncture économique, les évolutions techniques, vont conduire Joseph Belin à la faillite, le poussant inévitablement à la vente de ses biens.
Opportunément, les époux Vincent-Douzelot font l’acquisition le 2 février 1929, de la villa et des terres composant l’actuel parc Mansart.
Paul Vincent, ingénieur diplômé de l’Ecole Nationale des Arts et Métiers, effectua toute sa carrière à la Société des Automobiles Peugeot dont il deviendra rapidement le directeur du Contrôle général et des Achats.
Nous reproduisons ici un courrier de Monsieur Vincent adressé à Monsieur le Maire du Plessis-Trévise qui témoigne de l'état de l'avenue Bertrand en février 1929. Ce courrier fait suite au fait que Mr Vincent avait entrepris de combler les trous de celle-ci avec des matériaux de constructions et que par la suite, demande lui avait été faite par le garde-champêtre de les enlever... Ce qui visiblement avait eu le don d'agacer Mr Vincent qui venait d'arriver sur la commune et qui estimait développer l'activité économique de celle-ci.
Collectionneur, amateur d’Art éclairé, Paul Vincent fera de sa propriété, un véritable musée. Les statues actuellement dans le parc datent très certainement de cette époque.
Il disparaîtra le 30 juillet 1947. A défaut d'ascendant ou de descendant légitime ou naturel ou d'enfant adoptif, il laisse pour seule héritière, son épouse Marie Joséphine Lucine Douzelot.
Marie-Joséphine Douzelot-Vincent décèdera en 1972 à Troyes dans l'Aube, à l’âge de 86 ans.
Une succession difficile va s'en suivre.
La propriété sera peu à peu laissée à l'abandon. Elle sera pillée, saccagée durant de nombreuses années.
La ville du Plessis acquiert la propriété abandonnée et entreprend une rénovation totale du bâtiment et du parc.
Le bâtiment est alors aménagé pour devenir une Ecole de Musique assurant ainsi une continuité dans la destinée de cette demeure marquée par la musique et l'art.
L'école sera inaugurée le 15 septembre 1984 en présence du Maire Jean-Jacques Jégou, du Président du Conseil Régional et du Sous-préfet de Nogent-sur-Marne. Elle prendra le nom de César Frank - compositeur et organiste français (1822-1890). Un extrait de l'oeuvre de César Franck a d'ailleurs été exécuté dans l'auditorium pendant la visite des locaux.
Le 25 juin 2011, un concert devant l' école de musique marquera l'inauguration de l'auditorium Florencio Constantino commémorant ainsi le centenaire de la présence du ténor en ces lieux.
Elle accueille chaque année, enfants et adultes intéressés par le chant, l'apprentissage ou le perfectionnement d'un instrument de musique. Elle abrite également des concerts.
Le parc Mansart
Le parc Mansart qui l'entoure garde les vestiges du Grand-Canal et de l'ile Malvina. Après des travaux de remise en état (aménagement du canal, défrichement et nouvelles plantations, créations d'aire de repos et de jeux ..), il a été inauguré le 30 septembre 1987 en présence de M. Pierre Méhaignerie, Ministre de l'Equipement, du Logement, de l'Aménagement du Territoire et des Transports. De nombreuses autres personnalités étaient également présentes.
Charmant lieu de promenade, il est désormais un lien entre les générations, accueillant les séniors de la Résidence Conti et les jeux des enfants du Centre de Loisirs Jules Verne. Il y voit également s'y dérouler diverses manifestations : concerts, pique-nique lors de la fête de la musique, chasse aux oeufs à Pâques, randonnée des parcs...
Sous la neige de février 2018
La grille qui marque l'entrée de l' Ecole de Musique a connu un autre lieu puisqu'elle clôtura pendant de nombreuses années la propriété que l'on nommait, au début du XXe siècle, "Ferme de la Grande Grille", propriété qui deviendra en 1923 la mairie du Plessis-Trévise. Oeuvre du forgeron local Gabriet, elle assure toujours solidement ses fonctions 120 ans après sa réalisation.