Des RENNES au PARC de LA LANDE
En ce début de 19e siècle, les hivers étaient longs et rigoureux. Ils duraient bien souvent d’octobre à mai, la terre gelait, en Ile de France, parfois jusqu’à 65 cm d’épaisseur, les rivières se traversaient à cheval et en charrettes chargées.
Un procès-verbal du bureau des longitudes * rapporte, dans sa séance du 12 janvier 1820, une température en dessous de - 14° à Paris. Le procès-verbal du 9 février note l’arrêt de la pendule de l’Observatoire, On disserte sur l’effet du très grand froid sur les métaux. On ose imaginer la température sibérienne de Mouthe dans le Doubs pouvant descendre jusqu’à - 35°!
Le Bureau des longitudes est une académie de 13 membres et 32 correspondants (astronomes, géophysiciens et physiciens), travaillant dans leurs propres laboratoires, qui garantissent et définissent les missions de service public confiées à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides. Il a été fondé en 1795 par l'abbé Grégoire le (7 messidor an III). Les principaux buts étaient de résoudre les problèmes astronomiques liés à la détermination de la longitude en mer, stratégique à l’époque (son nom vient de cette activité), de calculer et publier les éphémérides et un Annuaire « propre à régler ceux de la République », d’organiser des expéditions scientifiques dans les domaines géophysiques et astronomiques et d’être un comité consultatif pour certains problèmes scientifiques. [source : Gallica]
Cela explique, quelque peu, l’évènement qui nous est rapporté par le journal le "Moniteur Universel" anciennement nommé « La Gazette Nationale » en date du 22 septembre 1820 :
« M. le maréchal Mortier, duc de Trévise, possède en ce moment, dans sa belle retraite de Plessis-La-Lande, deux animaux aussi rares que remarquables, et qui manquent à la ménagerie du Jardin du Roi : ce sont deux rennes, mâle et femelle. Ils sont les premiers de leur espèce de la seule de la race des cerfs dont les deux sexes portent des bois.
Jules-César avait bien découvert des rennes sur les bords du Rhin, mais toute la Belgique et l’Allemagne n’étaient alors qu’une vaste forêt dont l’influence donnait à la France le climat de la Pologne.
La latitude méridionale sous laquelle le renne vit aujourd’hui, à l’état sauvage non domestique, c’est le 63e degré en Suède, et dans la Tartarie chinoise, chez les Tonguses, au sud du Lac Baïkal au 48e degré nord (même latitude que Paris). Dans l’intérieur de l’Amérique, il descend jusqu’à 45° près des bords du Missouri, mais la température moyenne de ces dernières contrées est inférieure à celle de Petersburg, sous les 60°. Néanmoins, comme les étés de la Laponie sont au moins aussi chauds que les nôtres, ce n’est point la chaleur qui pourra nuire à la préservation de ces animaux mais l’humidité de nos hivers, méconnue dans leur patrie. Il sera peut-être difficile de les défendre contre cette influence.
Ces animaux ont été convoyés de Suède à M. le duc de Trévise par le Ministre de France, son gendre (Hippolyte de Rumilly époux de Caroline Mortier de Trévise) qui les a achetés l’hiver dernier à une famille de lapons venus de Stockholm. Ils sont arrivés fin août au Plessis-Lalande, département de Seine-et-Oise.
Ils sont restés, cependant, deux mois et demi en mer, les vents contraires ayant longtemps retenu le vaisseau qui les portait à hauteur d’Elseneur. Ils eurent beaucoup à souffrir à bord de l’air échauffé de l’entrepont et surtout de la disette de fourrages. Pendant plusieurs semaines, ils n’eurent à manger que des pommes de terre et des biscuits que leur donnaient les matelots.
Aujourd’hui, lâchés dans un parc, ils paraissent bien s’y plaire. Ils sont très friands d’une espèce de mousse qui croit au pied des arbres, ils aiment aussi du pain avec avidité. Malgré leur familiarité, ils sont braves comme dans leur pays où l’on sait qu’ils se défendent fort bien contre les loups. Dernièrement, un matin, l’un deux a mis hors de combat un loup, de la plus grande espèce, qui avait voulu les poursuivre. (NDLR : Il est tout à fait étrange d’imaginer la présence de loups dans le parc de Lalande… il y a seulement 200 ans !)
Il ne serait peut-être pas sans intérêt d’essayer de multiplier chez nous ces animaux et de les acclimater sur celles de nos montagnes qui ont des neiges perpétuelles. Ils y trouveraient disposés par étages, les climats que la succession des saisons donne à la Laponie. Nos régions alpines leur offriraient en quantité suffisante, les lichens, les mousses, les gramens et les diverses espèces d’arbres dont les bourgeons et les feuilles forment leur nourriture. L’utilité dont ils sont aux lapons montre quels services nos montagnards pourraient en tirer.
Ces considérations donnent une grande importance à la tentative que fait M. le duc de Trévise d’acclimater les rennes chez nous et prouvent que ce n’est pas seulement sur le champ de bataille que nos guerriers savent servir leur pays. ».
Nous ne savons pas qu’elle a été le destin de ce couple de rennes.
Il a été constaté que les rennes, grâce à leurs faibles exigences alimentaires, étaient doués d’une grande adaptation aux différents changements climatiques.
Si quelques rennes ont été domestiqués de manière insolite et à titre touristique, dans les Alpes à Megève, dans les Vosges ou encore en Ardèche, le seul territoire français où ils vivent à l'état sauvage est l'archipel antarctique des Iles Kerguelen. où ils ont été introduits au cours des années 1950.
Selon la légende,
le Père Noël devra donc toujours atteler son traineau avec des rennes venus de Laponie...