A la fin du 19e siècle, alors que Le Plessis-Trévise n’est encore qu’un hameau, nombre d'auberges, pensions de famille, guinguettes s’installent. Parmi les principales, citons :
- « Les Mousquetaires », « La Sirène », « Aux vrais chasseurs », « La Renaissance » (dans l'actuelle avenue Maurice Berteaux),
- « Le Châlet » (actuelle place Georges Courteline),
- « Le Gros Chêne » (près de l’Ile Caroline, à l'angle des actuelles avenues Georges Foureau et Tramway),
- « Au Faisan doré» (angle des actuelles avenues Ardouin et Leclerc, emplacement de la station de service),
- « Le Restaurant Fleury » (avenue Ardouin, à coté de l'Hôtel de ville)
- « La Chaumière » (avenue de Coeuilly),
- « A la station de l’omnibus » (actuelle Place de Verdun),
....
Mais, la plus célèbre auberge restera durant des décennies le Café-Hôtel-Restaurant « Au Faisan doré ».
En 1858, suite au décés de la veuve du Maréchal Mortier, ses héritiers mettent en vente le vaste domaine qui s'étend alors du quartier du Val Roger jusqu'à la ferme Saint-Antoine. Jean Auguste Ardouin en fait l'acquisition et entreprend de le découper en lots et de les revendre....
A cette époque le domaine est presqu'exclusivement constitué de bois.
L'affiche ci-contre est parue dans le journal "Le Tintamarre" du 19 septembre 1858. Une grande parcelle (5 000 m²) est à vendre. Elle correspond au terrain sur lequel sera construit le Faisan Doré quelques dizaines d'années plus tard.
Différentes sources permettent de dater la construction de cette magnifique demeure bourgeoise aux environs de 1888 - 1889. C'est Eugène Deltour d'origine auvergnate qui en sera le premier propriétaire.
Sur cette carte postale prise au début du 20ème siècle et datée du 4 mai 1929, il est mentionné :
"Eugène Deltour avait fait construire cette maison il y a 40 ans environ, l'une des plus belles du Plessis".
soit donc vers 1889.
Le registre des matrices cadastrales indique :
Parcelle C43 - Maison - 1888
La propriété originale comprenait un magnifique parc avec des chênes au moins centenaires. Coté façade, deux magnifiques tilleuls encadraient la grille d'entrée prolongée par les marches du perron et la terrasse bordée de balustres.
Le rez de chaussée était le lieu de vie avec le bar, la grande salle à manger, une salle de billard et la cuisine. L'étage était destiné aux chambres tandis que le sous-sol abritait la cave constituée de nombreux crus.
La photographie ci-contre est une vue aérienne datée de 1928 (une des premières pour le Plessis-Trévise).
Elle situe précisément la construction (fond bleuté) presque dans le prolongement de l'avenue actuelle Jean Charcot. La propriété est bordée par l'avenue Ardouin (anciennement avenue des Peupliers) et par l'avenue du Général Leclerc (anciennement avenue de Champigny).
Notez au passage que la physionomie de ce quartier a bien changé ! On distingue la salle des fêtes, le batiment de La Poste. La place encore bien boisée, accueillera pendant des années des démonstrations sportives organisées par le propriétaire du Faisan Doré
Madeleine Chevalier se souvient :
« C’était un endroit reposant, on s’y trouvait bien, le parc était l’ornement de cette propriété. En façade, de chaque côté du portail, deux magnifiques tilleuls répandaient leur doux parfum, en juillet, à la floraison. Quelques marches puis une belle terrasse bordée de balustres nous invitaient à la détente. A l’entrée, il y avait un bar, à droite une salle de billard, à gauche une grande salle pouvant contenir jusqu’à 100 couverts avec fauteuils de velours, plantes vertes et aussi une estrade au fond pour les musiciens lorsqu’il y avait bal ».
Peu avant 1910, c'est Albert Robert qui reprend l’établissement.
Passées les années difficiles de la Grande Guerre, il assure avec talent le développement de l’auberge, obtenant médailles d’Or et de Vermeil.
Avec un grand parc aux arbres centenaires, jeux divers, terrasse, chalet de dégustation de pâtisseries et glaces à la belle saison, la propriété attirait bon nombre de parisiens venus danser au son des flonflons du piano mécanique.
Puis, au cours des années 1930, les époux Thérisod succèdent aux Robert.
Jeanne Thérisod est au centre de la photo. A sa droite, son fils Raymond et sa fiancée Juliette Widmer. Derrière Jeanne, Michel Bony.
La réputation de Jeanne, excellente cuisinière, contribue à renforcer la notoriété de l’établissement notamment avec son traditionnel « Coq au vin » qui attire de nombreux parisiens dès la Pentecôte et tout au long des week-ends suivants.
Innovant pour l’époque, « Le Faisan Doré », propose sur commande un service traiteur à domicile, dit « de plats détachés pour la ville ». Quant à Jean, il veille à la qualité du service et à l’enrichissement de la cave.
Raymond Thérisod, leur fils, épousera Juliette, la fille cadette de Monsieur Widmer qui était propriétaire de la ferme de l'ile Caroline, située à quelques centaines de mètres du restaurant.
Que de chaleureux repas de famille s’y sont déroulés : baptêmes, communions, mariages ...
Que de joyeux banquets, que de parties de billard ardemment disputées, que d’interminables parties de cartes, ont réuni dans ces lieux des bandes d’amis joyeuses et fraternelles !
Durant plus de 80 ans, « Le Faisan doré » a rythmé la vie des Plesséens.
Ines Renault se souvient des parties de cartes :
« Les joueurs étaient 4 et ils avaient chacun leur personnalité. L'un d'eux était "spécial", il était plus agé que les autres, de taille moyenne et trapu. il avait cette allure martiale du début de siècle : cheveux taillés en brosse, moustache arrogante, bésicles cachant un regard autoritaire, tenue vestimentaire démodée mais toujours correcte. Chaque samedi, le groupe des quatre se rejoignait à l'auberge du Faisan doré pour la fameuse partie de cartes - ma belle-soeur et moi-même venions les rejoindre car à cette époque nous n'avions pas beaucoup de distractions, la télévision n'existait pas, il y avait un cinéma à trois kilomètres où nous allions de temps à autre à la belle saison...
Nous assistions donc au jeu de ces messieurs, bien au chaud dans cette grande salle... Ah les bons déjeuners que les parties de cartes nous offraient ! Les restaurateurs préparaient les repas, c'était une cuisine excellente et la cave sans pareille. Avant de se quitter, le quatuor continuait la conversation debout au comptoir; le monsieur à bésicles avec moultes démonstrations donnait aux autres des leçons de belote ou de bridge. Enfin, se croyant le roi des joueurs, le feu au visage, les moustaches retroussées, l'oeil brillant, il regardait sa femme en lui lançant immanquablement d'une voix forte "En voiture Simone". C'était son expression favorite, elle se prénommait effectivement Simone et ils possédaient une vieille automobile très fatiguée qu'il falllait régulièrement pousser ! Que de bons moments nous avons vécus en ce temps-là !
Un patissier s'était installé dans le parc face à La Poste (autrefois avenue de Champigny, actuelle avenue du Général Leclerc) dans un petit châlet. Il fabriquait et vendait des galettes. Sur le mur de la maisonnette, il avait accroché une cloche et une inscription signalait :
« Quand la cloche sonnera, la galette sortira ».
Ainsi, chaque jour vers 16h, dès la sortie de l’école, telle une envolée de moineaux, les petits écoliers, leur sou en poche, se précipitaient guidés par le son de la cloche, pour aller y acheter leur part de galette toute chaude.
A cette époque, les repas étaient de véritables festins comme en témoigne ce déjeuner de baptême d’Éliane Widmer, le 7 mai 1932 :
Hors-d’œuvre variés
Truite saumonée sauce verte
Ris de veau Périgueux
Filet de bœuf bouquetière
Asperges d’Argenteuil sauce mousseline
Chapon du Mans
Salade de saison
Barquettes de foie gras
Fromages
Bombe glacée
Fruits – Petits fours
Le tout accompagné de vins de Touraine rouge et blanc puis de Pouilly-Fuissé,
suivis d’un Pontet-Canet 1923 et d’un Pommard 1924 puis d’un champagne Waris.
Enfin, pour conclure café et liqueurs. Quel appétit !
Ci-dessous, quelques autres menus de fêtes :
- A gauche, un menu daté du 22 août 1899
- A droite, un menu daté du 20 juillet 1957 ( à noter : "la salade plessissoise"!).
L’auberge est chaudement recommandée par la Fédération des Syndicats d’Initiative de la Région Parisienne tant pour son gîte que pour son couvert. De nombreuses cartes postales mentionnent la douceur des vacances qu’y passent les touristes de ce temps là, vantant son cadre champêtre et son accueil chaleureux.
Le Plessis-Trévise en acquiert alors une réputation de lieu de villégiature apprécié.
Le Faisan Doré sera démoli au milieu des années 1960 (fin 1966 ou début 1967).
Notons que :
- en 2010, l’Unesco a classé « le repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité,
- en 2024, le département du Val-de-Marne accueillera à Créteil, la Cité de la Gastronomie.